Bourse Jeux Vidéo : Muriel Tramis, Samuel et la Réunion

Mickael Newton
7 min readDec 27, 2021

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En plein milieu de ses études, Samuel Hoarau, étudiant en game design et programmation et bénéficiaire de la Bourse JV lancée par Loisirs Numériques, a eu l’honneur de collaborer avec Muriel Tramis, créatrice française émérite. Entre héritage culturel et expérience concrète de programmation, voici ce que j’ai pu retenir notre rencontre, ainsi que du lien qui nous unit tous : l’Île de la Réunion.

Muriel Tramis et Samuel Hoarau, titulaire de la Bourse JV

C’est au mois d’octobre 2021, durant la remise de la Médaille du Mérite à Jehanne Rousseau, co-fondatrice du projet de Bourse Jeux Vidéo et créatrice du studio Spiders, que Samuel rencontre pour la première fois Muriel Tramis en chair et en os. Ma pensée immédiate était que j’étais sans doute le témoin d’un moment inoubliable pour Samuel, aspirant programmeur et originaire de l’Île de la Réunion et l’un des douze jeunes encadré-es par le programme de bourse étudiante que nous avons lancé en 2020. Comment en sont-ils arrivés à se rencontrer, durant un moment aussi solennel ? Comment ai-je atterri là ? Il faut dire qu’il y a eu du chemin avant que ce moment n’arrive et qu’il ne doit pas grand-chose au hasard. Les petits coups de chance ont été provoqués par le travail et la passion qui me portent pour encadrer Loisirs Numériques et les nombreuses actions que l’on mène.

Retour aux sources

J’ai rencontré Muriel pour la première fois lorsque deux membres de Loisirs Numériques et moi-même avons été invités au Madin E-Sport Day, événement ultra-marin qui a eu lieu fin 2019, organisé avec brio l’association Rising Opossum. Symboliquement ce moment avait du sens à deux niveaux : tout d’abord il s’agissait du tout premier salon abordant la culture jeu vidéo et l’e-sport à la Martinique et puis c’était aussi et surtout la première fois en 20 ans que j’atterrissais sur l’Île où est né mon père. Revenir sur place pour pouvoir rencontrer des jeunes et parler de mon travail et de ma passion relevait pour moi du miracle. Muriel Tramis et moi avons une connaissance commune. Cette dernière nous a mis en contact afin que nous nous retrouvions, mais cela n’était pas bien difficile vu que Muriel était invitée d’honneur de la manifestation. Une fois sur place, nous avions sympathisé, longuement échangé sur nos parcours, notre attachement à la créolité et puis gardé contact jusqu’alors. L’escapade aura duré une semaine, le temps d’accepter que le secteur vidéoludique n’était qu'à ses balbutiements dans les territoires et régions d’Outre-Mer.

La carrière de Muriel Tramis a commencé à la fin des années 80 dans les jeux vidéo, c’est pour cela qu’elle fait figure de mentor et d’inspiration pour moi et beaucoup d’autres francophones, notamment les femmes du secteur. De par son implication dans la création de jeux en tant qu’auteure ou conceptrice de jeux comme ADI, Mewilo ou encore Freedom, elle est reconnue comme l’une des pionnières du secteur, si bien qu’elle fut décorée de la Légion d’Honneur en 2018. Elle quittera le secteur durant quasiment deux décennies pour se consacrer à l’écriture de livres et à son entreprise de création 3D au début des années 2000. Là, depuis sa distinction émérite et un projet de financement participatif pour le remake d’un de ses titres qui n’a malheureusement pas été au bout, on commence à revoir son nom peu à peu dans la presse vidéoludique.

Décembre 2019, auto-portrait en duo à l’occasion de la Madin E-Sport Day

Durant le printemps 2021, Muriel m’a fait l’honneur de sa présence à l’occasion de la BJV Game Jam, une émission live que mon association organisait en support d’une game jam — un exercice de création de jeux — afin de mettre en avant les talents de nos étudiant-es boursier-es. Après le live sur Twitch, Muriel me fait part de sa frustration quant au fait de ne pas avoir pris le temps d’échanger avec tous les jeunes, notamment auprès des jeunes femmes qui elles étaient plus discrètes durant l’événement. Je propose alors un nouveau rendez-vous sur notre Discord dédié, moment que Muriel Tramis choisit pour leur présenter par ailleurs le fruit de ses travaux de recherche pour son futur jeu, Remembrance.

La Réunion des talents

Quelques mois après l’événement et suite à une discussion avec Muriel Tramis, j’apprends qu’elle avait prolongé la discussion avec Samuel l’étudiant et que tous deux avaient collaboré le temps d’un d’été. Aussitôt, je le contacte pour qu’il me raconte l’histoire : “J’ai eu un stage à la Réunion grâce à elle, c’était pendant la game jam qu’elle m’a proposé cela et où j’ai accepté.” Juste avant sa seconde rentrée en Programmation et Game Design à l’école privée Isart Digital, Samuel saisit sa chance afin de monter en compétence sur le moteur de création de jeu, Unity. Je dis bien “chance” puisque c’est de cette manière dont il en parle, car il s’agit un outil qui est abordé seulement durant la deuxième année d’études. Du haut de ses 21 ans, Samuel Hoarau se décrit comme curieux et doté d’une curiosité sans bornes quant au fonctionnement des objets qui l’entourent. Après l’obtention de son Bac, il se lance dans un BTS Système Numérique Informatique et Réseau, avec une spécialisation dans la programmation. Il se dit est très fan des jeux de l’éditeur Capcom, mais plus généralement de jeux d’aventure où l’exploration prime sur l’action.

Paola et Papa Bwa, deux personnages issus des travaux de Kendy Joseph, Directeur Artistique de Remembrance

Cela tombe bien, le nouveau projet de Muriel Tramis a une mission similaire. L’auteure a toujours eu à cœur de rendre honneur aux talents et aux histoires issues des cultures afro-créoles et pour la production de Remembrance, quelques acteurs de l’Île de la Réunion se sont investis dans cette nouvelle aventure interactive. Il s’agit de créer un jeu narratif sur fond de construction de la société créole. On y dirigera Philadora, une jeune journaliste scientifique, dans une collecte de souvenirs de moments douloureux de l’époque coloniale. Alors que le scénario et les personnages sont écrits, le jeu entre en phase de pré-production afin de réaliser un prototype et prouver que le projet vaut le coup. Muriel raconte : “J’ai été mise en relation avec Liberty Games, une société de production réunionnaise. Elle a pu décrocher une aide au prototypage de la part de leur conseil régional local et cela nous permet de commencer à étudier les aspects visuels, le gameplay et la progression du futur jeu.” Samuel, lui, a aidé sur la programmation de l’Interface Utilisateur ou “UI” comme on dit dans le métier, c’est-à-dire la co-conception des menus, de l’inventaire avec lesquels les utilisateurs vont pouvoir interagir. Sur ce point, il ne manque plus qu’un graphiste pour donner la couche de vernis nécessaire à la visualisation du travail accompli.

Muriel habitant à la Martinique, elle coordonne donc une quinzaine de personnes travaillant pour la majorité de l’autre côté du globe sur l’Île de la Réunion, dont Samuel qui était chapeauté par le Lead Programmer de Liberty Games. L’objectif d’ici quelques semaines sera d’obtenir une “vertical slice”, un condensé d’expérience qui sera censé retranscrire ce que pourrait être le jeu complet afin de séduire in fine un éditeur ou co-producteur potentiel. “Grâce à cette histoire, je veux surtout faire entendre la voix des esclaves, des ‘nègres d’eau salée’ — à savoir ceux qui sont nés en Afrique et qui ont été conduits dans la colonie de force — et des ‘nègres d’eau douce’, ces esclaves nés dans la colonie et qui n’ont connu que la servitude.” La Martinique et la Réunion étant deux îles qui ont très bien connu la traite des femmes et des hommes entre les XVII et XIXème siècles.

De gauche à droite : Samuel Hoarau, Théo un des étudiants de la Bourse JV, Gerald coordinateur général de Loisirs Numériques, Muriel Tramis ainsi que Victoria, Osvaldo, Anh, Chakib de la BJV ainsi que moi et Jehanne Rousseau, lors de la remise de la Médaille du Mérite (octobre 2021)

L‘héritage

A la demande de Jehanne Rousseau, Muriel Tramis est alors venue dans l’hexagone lui remettre la Médaille du Mérite. L’honneur et l’héritage sont le fil rouge de ces rencontres, car Jehanne a aussi tenu à ce que les jeunes de la Bourse Jeux Vidéo soient là également pour ce moment unique. Je me souviens qu’elle tenait à ce que ce moment soit une réalité, surtout et avant tout pour que cette rencontre entre les générations puisse se faire. J’étais à peine remis de ce moment que me voilà parti en direction de l’Île de la Réunion, invité là aussi pour leur premier salon du jeu vidéo, la Run Games Week, afin d’y donner une conférence. Malgré cette drôle d’année 2021, au-delà de tout le travail accompli et des rencontres opportunes, je dois bien reconnaître toute la chance que j’ai eue.

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Plus d’infos et ressources :
- Les sites Internet de la Bourse Jeux Vidéo et de Loisirs Numériques
- Interview de Muriel Tramis par Carole Quintaine (créatrice de contenu)
- Le site de Spiders, studio de Jehanne Rousseau
- Biographie de Kendy Joseph
- Les jeux et prototypes de la 1ère BJV Game Jam par les étudiant-es BJV

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